jeudi 8 juillet 2010

L'argent ne fait pas le bonheur, mais...

« L'argent ne fait pas le bonheur, mais il y contribue ». Bien souvent rejetée, cette relation entre argent et bonheur est le sujet d’une conférence du professeur Bruno S. Frey. Il s’agit d’analyser de manière objective la pertinence de cette dernière.

Les riches sont-ils plus heureux que les pauvres ? D’après de récentes études statistiques, la relation entre revenu et satisfaction revêtirait un caractère positif. Un revenu élevé offre en effet un catalogue de choix plus large à son détenteur et lui confère un statut social supérieur. Toutefois, cette relation se révèle non linéaire. La concavité de la courbe révèle alors l’utilité marginale décroissante d’un supplément d’argent en termes de satisfaction supplémentaire. Pour expliquer ce phénomène, une première possibilité tient au besoin de comparaison des individus. Ces derniers sont ainsi plus heureux dès lors qu’ils améliorent leurs conditions financières relativement à leurs congénères. Un enrichissement global de la population n’apporte ainsi aucun gain en termes de bonheur. Il s’agit donc de considérer l’argent d’un point de vue relatif et non absolu.

Précisons que l’analyse conduite ci-dessus s’effectue ceteris paribus, c'est-à-dire en maintenant constantes les autres variables à l’exception du revenu. En considérant un horizon temporel, la relation est radicalement différente puisque l’état de satisfaction des individus demeure constant depuis les années 50. Cette observation peut paraître surprenante au premier abord puisque les revenus ont fortement progressé au cours de la même période. Pour illustration, le PIB japonais a été multiplié par 6 entre 1958 et 1991. L’explication relative à un changement de population peut être écartée grâce aux méthodes statistiques conduites. De plus, si certains pays (Danemark, Italie, Allemagne) ont connu une faible relation positive, d’autres études font apparaître une relation faiblement négative pour les Etats-Unis. Une explication possible tient au processus d’ajustement conduit par les individus. La satisfaction réside ainsi dans le changement. Comme ce dernier n’est que transitoire, le gain marginal disparaît par la suite. La consommation de biens et services supplémentaire ne saurait dès lors contribuer à un accroissement continu de l’état de satisfaction lié à son existence.

Qu’en est-il de l’état de satisfaction à travers le monde ? Toutes choses égales par ailleurs, il apparaît que les individus vivant au sein de pays plus riches expérimentent un état de satisfaction supérieur relativement à leurs congénères économiquement moins performants. Toutefois, la relation positive s’éteint progressivement à l’approche d’un certain seuil (10'000$ environ). Plusieurs questions méritent toutefois d’être soulevées, principalement dans le domaine des statistiques. Ainsi, les pays avancés d’un point de vue économique possèdent des institutions démocratiques dotées d’une plus grande stabilité. De même, plus la richesse augmente, plus l’état de santé de la population s’améliore. Une analyse similaire peut être conduite à propos de la sécurité des droits fondamentaux de l’être humain. Ces variables cachées doivent ainsi impérativement être prises en considération dans l’optique d’obtenir des conclusions fiables. Dans un même registre, la question de la causalité entre argent et bonheur mérite un approfondissement. En effet, il nous est permis d’imaginer qu’une population plus heureuse sera plus encline à travailler et ce de manière plus efficace.

La recette du bonheur ne se laisse cependant pas représenter au travers d’une simple régression linéaire multiple. De nombreuses variables et interactions entre ces dernières existent en effet, conduisant à l’explication d’une infime partie de la variance observée. L’analyse ceteris paribus permet cependant d’étudier l’influence de certaines variables importantes dans les discussions conduites actuellement au sein de nos sociétés. L’expérience du chômage se révèle ainsi catastrophique du point de vue de l’état de satisfaction des individus. Celle-ci est toutefois aplanie par les phénomènes de masse. En effet, le fait que d’autres individus soient placés dans les mêmes conditions apporte un certain réconfort. A nouveau, l’étude du sens de la causalité mérite réflexion. Une personne malheureuse est en effet susceptible de faire preuve d’une motivation inférieure au travail, augmentant la probabilité d’un licenciement. A nouveau, les méthodes utilisées par les chercheurs conduisent au rejet de cette dernière hypothèse.

Qu’en est-il des différences culturelles ? S’il est vrai que le bonheur ne s’exprime pas de la même façon au sein de toutes les cultures, l’effet marginal de la variation d’une variable exerce un effet dans une direction similaire (l’importance de l’effet étant différente). Ce phénomène oblige cependant à faire preuve de prudence dans les comparaisons effectuées.

En définitive, précisons que les observations présentées ci-dessus visent à une meilleure compréhension des variables actuelles permettant d’expliquer le bonheur. Il ne s’agit en aucun de fournir une quelconque recette du bonheur. Comme précisé antérieurement, les analyses présentées sont conduites ceteris paribus alors que la quête du bonheur requiert la combinaison de l’ensemble des variables déterminantes. Le nombre d’enfants, les années d’études ou le cercle d’amis, toutes ces variables sont également déterminantes lors de la définition de l’état de satisfaction d’un individu. Le bonheur se révèle ainsi avant tout une question personnelle, à laquelle chacun tente jour après jour de trouver une réponse meilleure que la veille.

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